Benito Mussolini, un revenant encombrant
(Tratto dal Blog Andiamo! Liberation.fr)
Plus de soixante-cinq ans après sa mort (le 28 avril 1945), le Duce arrive encore souvent à faire parler de lui en Italie. En premier lieu, son nom est crânement porté et défendu bec et ongles par sa petite-fille Alessandra, fille de l’artiste de la famille, Romano Mussolini, musicien de jazz (musique bannie durant le fascisme) et nièce de Sophia Loren. Cette ex-actrice et chanteuse (un disque sorti au Japon) avant de devenir députée de droite, n’a pas sa langue dans sa poche et est indéniablement une figure familière du paysage politique transalpin. Son activité de gardienne officielle du “temple” mussolinien occupe cependant une grande partie de son temps, son grand-père réapparaissant parfois là où on l’attend le moins…
En début d’année, il était ainsi possible de télécharger sur le célébrissime iPhone d’Apple, pour moins d’un euro, un programme “iMussolini“, permettant d’accéder à plus d’une centaine des discours illustrés par des photos de Mussolini, sur l’initiative d’un jeune napolitain de 25 ans, Luigi Marino. Le programme s’est classé immédiatement dans les meilleures ventes de la section eBooks du iTunes stores italien. Son auteur, pour éviter de tomber sous le coup d’une loi de 1952 (1), avait jugé utile de préciser que son application n’entendait pas “promouvoir le fascisme”.
Il a indiqué par la suite avoir voulu faire œuvre pédagogique et historique, une sorte de documentaire en quelque sorte, et que c’était Apple qui aurait dû censurer les 148 commentaires ouvertement fascistes apparus sur la page de téléchargement. A la fin, compte tenu de la médiatisation de son succès relaté par de nombreux journaux et des menaces de plainte d’une organisation américaine de survivants de l’holocauste et de l‘Institut Luce (équivalent de l’INA) qui détient les images historiques en cause, Luigi Marino a jeté l’éponge et semble avoir retiré le programme de la vente, mais il a jugé utile d’indiquer que le matériel dont il s’était servi était disponible sur internet…Alessandra a contesté cette “censure”, en affirmant que les discours en question faisaient partie de l’histoire du pays, que cela plaise ou non.
Le Web, où l’on trouve décidément tout et n’importe quoi. En novembre, une annonce a été publiée sur eBay par un “collectionneur” italien, qui vendait des fragments de cerveau et du sang de Benito Mussolini, le tout accompagné d’un certificat d’authenticité… eBay a retiré l’annonce quelques heures après sa mise en ligne, se fendant d’un communiqué rappelant l’interdiction de la vente sur son site de “matériel organique humain”. On est rassurés, tout comme Alessandra, qui avait déjà porté plainte.
Je m’étonne aussi toujours de constater que le 25 avril, date choisie pour célébrer symboliquement la fin de la Deuxième Guerre mondiale et la libération de l’Italie, provoque encore chaque année polémiques, manifestations séparées et échange de noms d’oiseaux entre droite et gauche, entre partisans de la Repubblica sociale (la République de Salò) fondée par Mussolini et soutenue par Hitler, après la proclamation de l’armistice en septembre 1943 (prélude à l’occupation allemande) et groupes de soutien aux partigiani, les résistants de l’époque. Sans parler de la vieille formule que l’on peut encore entendre dans la bouche de certaines personnes “au moins du temps de Mussolini, les trains étaient à l’heure” (ce qui semble d’ailleurs être une légende…) ou des saluts fascistes qui remportent toujours un grand succès dans les stades et pas seulement…
Et que dire des innombrables gadgets (parfums, tee-shirts, alcool, chaussons, bavoirs…!) à l’effigie du Duce que l’on trouve très facilement dans de nombreuses stations service, bimbeloteries, magasins de souvenirs, etc.. dans tout le pays. Récemment, après la plainte d’une touriste française de confession juive, Carrefour s’est “aperçu” qu’un des magasins de son groupe, GS, à Cuveglio (dans le nord de l’Italie) vendait le plus naturellement du monde des bouteilles de vin avec de belles étiquettes représentant Mussolini. Pour sa défense, le producteur a indiqué que ses vins étaient commercialisés dans des bouteilles avec des étiquettes reproduisant “des moments importants de notre histoire” (Jean Paul II, Hitler et Che Guevara y figuraient aussi en bonne place…). Peu de temps après mon arrivée en Italie, j’avais également vu des bouteilles du cru “mussolinien” dans une station service près de Pérouse, à côté d’autres bouteilles à l’effigie d’Hitler, dans l’indifférence générale.
Last but not least, l’on a appris récemment qu’à l’occasion de la candidature de Luigi Celori, PDL (parti de la majorité de droite) aux élections régionales du Lazio, un ex membre d’Alleanza Nazionale (2), un beau calendrier a été distribué à Pomezia (ville fondée par Mussolini en 1938) pour célébrer la 80ème année de l’ère mussolinienne (c’est-à-dire 2010), illustré de belles photos et de slogans du Duce… Au vu des polémiques suscitées par cette initiative et de l’embarras de son propre parti, le candidat s’est limité à démentir être à l’origine de la diffusion de ce calendrier, imputant sa mise en circulation à certains de ses “supporteurs” à l’occasion de l’anniversaire de la fondation de la ville. Le courage de ses opinions…
(1) Le premier alinéa de l’article 4 de la loi du 20 juin 1952 prévoit que qui mène une activité de propagande pour la constitution d’une association, d’un mouvement ou d’un groupe visant à reconstituer le parti fasciste est puni d’une peine de réclusion de 6 mois à deux ans et d’une amende de 400.000 à 1.000.000 de lires (2000 à 50.000 euros); l’alinéa 2 prévoit la même peine pour qui exalte des membres, des principes, des faits ou des méthodes du fascisme ou ses finalités antidémocratiques; si à cette circonstance s’ajoutent des idées ou des méthodes racistes, la peine passe à un à trois ans de réclusion et d’un million à deux millions de lires. La loi est très rarement appliquée, les saluts fascistes étant eux réprimés sur le fondement d’une autre loi, interdisant l’instigation à la haine raciale.
(2) Alleanza Nazionale est un parti de droite conservatrice et “nationale”, né en 1994, héritier du MSI fondé par un ancien membre de la République de Salò, Giorgio Almirante, et s’est fondu dans le PDL en 2009. Son ancien dirigeant, Gian Franco Fini, actuel président de l’Assemblée Nationale, avait qualifié Mussolini (entre autres) de plus grand homme d’état italien; il a commencé à s’en distancier en 1995 et, en 2003, lors d’un voyage en Israël, il a défini le fascisme et les lois raciales, comme le mal absolu du XXème siècle, provoquant stupéfaction et hostilité de nombreux compagnons de parti ainsi que le départ d’Alessandra, outrée par ce reniement…
Je suis toսt à fait du même avis que toi